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19 septembre 2023

INCESTE

La CIIVISE :
Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants.

La CIIVISE, de par son nom, son titre et les témoignages qu’elle reçoit, se présente opposée à toute étude des systèmes qui permettent l’inceste et les violences sexuelles sur les enfants : elle est axée sur le versant sexuel de l’inceste et des violences. L’inceste, les maltraitances, en tant que violences systémiques, ne sont pas dans son champ d’action. La CIIVISE veut des actes, un point c’est tout : elle veut des victimes qui parlent, s’exposent, témoignent, elle veut que les politiques agissent, elle veut des politiques de prévention « coups de poing » et elle veut que tout ça se fasse vite.


« Je parle pour moi et pour protéger les autres enfants » ou la parole magique


Dédiée a priori à l’action, la CIIVISE a lancé son premier appel à témoignages le 21 septembre 2021. La CIIVISE croit en effet au pouvoir guérisseur de la parole, et dans son cas, il s’agit d’une prise de parole en public. Je crois moi aussi au pouvoir guérisseur de la parole. Dans un cadre posé, avec un soutien pour la recevoir, cette parole. Je pense d’ailleurs que cette prise de parole en public, telle qu’elle est voulue par la CIIVISE peut soulager certaines victimes ; mais elle peut être aussi une prise de conscience fracassante pour d’autres victimes ; l’effondrement est une hypothèse qu’aucun professionnel sérieux n’a écartée à ma connaissance.


Se retrouver seulE avec les injustices, avec les révélations qu’on vient de jeter en public, ça se prépare en amont et ça ne se commande pas. La restriction à cette parole magique en public devant une CIIVISE qui engrange les témoignages, elle se trouve dans l’équilibre psychique des victimes. Batailler à tour de rôle pour se faire entendre, ce n’est pas un moment anodin pour une victime. Dès l’origine, la mise en place de ces rencontres centrées sur les témoignages bruts, la prise en compte du bien-être des victimes est accessoire, c’est entériné. Sinon, je n’imagine pas que les professionnels aguerris de la commission n’aient pas pensé une minute à mettre à disposition une cellule de soutien psychologique appropriée pour chaque rencontre. Au moins, il faut l’admettre, un questionnaire mis en place par la CIIVISE et un numéro d’appel sont bien proposés aux victimes qui s’expriment. La quantité prime dès lors la qualité : recevoir des témoignages par milliers et ne pas assurer de suivi sérieux.


C’est bien sûr révélateur du sens que donne la CIIVISE à ses actions : les membres sont là « pour l’écoute » sans aucune connaissance du contexte y compris traumatique actuel. La parole libère d’elle-même, il n’existe ni travail sur soi en amont, ni possibilité de réparation ensuite. Tout est fait dans l’instant de ces rencontres. Les notes prises au fil des témoignages doivent suffire pour dresser des analyses complètes, pour saisir les mécanismes et pour faire évoluer les mentalités. La CIIVISE à elle seule, par sa détermination à ne tenir compte que de l’instant-témoignage démontre l’incapacité profonde de la société à se saisir des violences systémiques, en particulier de l’inceste. Quant au fait de ne pas anticiper sur les réactions des victimes puisque « la parole libérera », il est à la fois imputable aux croyances personnelles des membres et à leurs œillères : la reconstruction n’a qu’un chemin, le leur.


Une commission pas si indépendante


J’évoquais l’apport d’une cellule de soutien psychologique pour les victimes qui souhaitent témoigner. La CIIVISE, bien que dotée d’un budget finalement peu conséquent par rapport à d’autres postes de dépenses (4 millions d’euros sur deux ans), a choisi ses priorités (et vous les percevrez en vous référant à sa page « mission » en source).


La CIIVISE, en tout cas ses deux présidents, ont été nommés par le président de la République en personne, c’est dire son indépendance. Une commission qui explique néanmoins être indépendante par rapport à la justice, mais je cite : « La CIIVISE reçoit les témoignages dans le respect des articles 434-3 et 434-1 du Code pénal qui lui font obligation d’informer les autorités judiciaires de toutes les agressions ou atteintes sexuelles infligées à un mineur dont elle a connaissance, ainsi que de tout viol commis sur un majeur dont l’auteur serait susceptible de commettre de nouveaux viols qui pourraient être empêchés ». Si cet argument par rapport à la justice est une évidence dans notre pays, la CIIVISE ne peut en aucun cas se prévaloir d’être indépendante sur aucun plan ; elle a de plus à sa tête, un juge.


J’en ai conscience, le choix des membres participe à la construction d’un signal politique. Aussi, le fait que certains membres de la CIIVISE soient proches de Karl Zero est là aussi, un signal que le complotisme ambiant fait des émules dans les plus hautes sphères de la protection de l’enfance. Comment ne pas être inquiet, en tant que victime de réseau de prostitution de mineurs, en tant que personne impactée, quand cette commission admet cette proximité ? Cette proximité, la question n’est pas de savoir si elle est vraiment idéologique : elle est médiatique et n’est pas un signal d’indépendance.


Quels choix pour quelle commission ?


Parmi ces choix éminemment politiques, la CIIVISE a décidé de ne pas écouter que les victimes. Disons-le tout de suite, le manque de structures d’accueil pour celles qu’on appelle « les mères en lutte » est un problème majeur et récurrent, et la mise en place d’un travail associatif sérieux serait nécessaire en France dans l’idéal.


Pourtant, le fait de décider de rassembler les deux problématiques, certes liées dans le giron d’une même commission qui était à l’origine, censée recevoir les paroles des victimes, est délicat à appréhender pour de nombreuses victimes, surtout dans le cadre des rencontres publiques. En effet, dans une famille de type incestuelle ou incestueuse, les mères ne savent pas, en majorité, protéger leurs enfants. Les victimes se trouvent donc confrontées pendant les séances publiques à des discours qu’elles ne peuvent pas s’approprier, et qui loin de les faire avancer, peuvent les blesser.

Alors certes, la volonté est vertueuse, il faut avancer vite sur ces problématiques. Seule l’action compte aux yeux de la CIIVISE. Or loin d’être une action coordonnée et émancipatrice, c’est une action qui relève parfois clairement d’une mise en danger psychique des victimes et personnes impactées.


Lors de la dernière campagne de prévention lancée par le gouvernement sur les préconisations de la CIIVISE, ce choix de l’action s’est matérialisé ; Charlotte Caubel, la secrétaire d’État chargée de l’Enfance l’a elle-même définie : c’est une « campagne-choc ». Les spots diffusés partout, y compris à la mi-temps d’un match de rugby, doivent marquer les esprits. La CIIVISE comme le gouvernement partent du principe qu’ils doivent réveiller les consciences. Et sous-estiment gravement la prévalence de l’inceste et de la pédocriminalité dans la population générale. Si les chiffres de l’enquête Virage sont exacts (et ils le sont sans aucun doute), une large partie de la population risque de souffrir de la diffusion inopinée de ces spots. Mais la protection des victimes et personnes impactées, au-delà des slogans, et de cette propension à donner lieu au voyeurisme, n’intéresse guère.


Lorsqu’il s’agit de protection, la CIIVISE sait délimiter les sujets de société : elle établit clairement qu’elle portera une attention particulière à la protection des enfants handicapés. Là aussi, la prévention pêche dans sa mise en œuvre : bien que les enfants handicapés soient les victimes de violences dans le cadre d’institutions (IME, ITEP, autres), la CIIVISE à travers ses membres ne s’oppose pas à l’institutionnalisation. Il s’agit en effet d’une autre problématique me direz-vous. Dans ce cas, l’intérêt manifesté pour les enfants handicapés n’est qu’un étalage parmi d’autres de choix politiques. J’enfonce un peu plus le clou : aucune de ses campagnes de prévention n’est accessible, pas plus d’ailleurs que les comptes de la CIIVISE sur les RS. C’est encore une manifestation d’intérêt de surface, sans réelle implication. Un excellent résumé au final de ce que propose la CIIVISE : des mots, des mots, toujours des mots.

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