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29 aoƻt 2024

Mise à jour :

INCESTE

Nos incestes qui nā€™existent pas

Je vais parler dā€™un sujet qui nā€™existe pas, dā€™un, des incestes qui nā€™existent pas, ils existent bien sĆ»r, mais pas vraiment, nous sommes ces passĆ©s dĆ©classĆ©s, cet Ć©lĆ©phant flou dans la piĆØce que lā€™on prĆ©fĆØre contourner, nous sommes les victimes dā€™un dā€™inceste de Schrƶdinger, Ć  la fois inceste et Ā« peut-on vraiment appeler cela de lā€™inceste ?Ā».


Nous, nos traumas enchainĆ©s, nous nā€™existons pas, nos histoires nā€™existent pas, la sociĆ©tĆ© vaporise nos paroles et sublime nos existences.

Je ne vais pas utiliser cette expression rebattue Ā« nous parlons et nous ne sommes pas entendu Ā», parce quā€™en fait je pense que cā€™est pire.

Nous parlons dans le vide, nos voix ne font vibrer aucun air, nos paroles sā€™Ć©vaporent dans lā€™Ć©ther avant mĆŖme dā€™avoir touchĆ© quoi ou qui que ce soit.


Je vais donc parler de lā€™inceste, dans les fratries, entre cousins, de lā€™inceste entre enfants, de cet inceste qui nā€™existe pas.

Et je dis bien de lā€™inceste Ā« entre enfants Ā» et pas Ā« entre mineurs Ā».

Je nā€™aime pas les qualifications juridiques, je ne mā€™en suis jamais cachĆ©e, elles ont cette fĆ¢cheuse tendance Ć  classer Ć  lā€™excĆØs et Ć  figer la rĆ©flexion.

On ne parle plus Ā« dā€™enfants Ā», on parle de Ā« mineurs Ā» et cā€™est bien pratique cela Ā« mineurs Ā», puisque cela va de 0 Ć  18 ans, bon ok je vous accorde le Ā« mineur de moins de 15 ans Ā» qui existe pour bien appuyer la gravitĆ© (avec les gros yeux et tout).


Bref


Je nā€™aime pas ce remplacement de Ā« enfant Ā» Ā« adolescent Ā» par ce grand fourre-tout de Ā« mineur Ā»

En gĆ©nĆ©ral, nous dirons, Ā« la plupart du temps ā€“ souvent ā€“ trĆØs souvent Ā» parler dā€™inceste entre mineurs, fait Ć©merger la figure de lā€™adolescent qui abuse sa petite sœur (si possible trĆØs petite), on aime bien les diffĆ©rences dā€™Ć¢ge lorsque lā€™on parle dā€™inceste, cela maximise les effets vous voyez.


Ce que jā€™ai remarquĆ© quand les gens parlent dā€™inceste, les gens, les journalistes, les pas journalistes, cā€™est de maximiser lā€™horreur, et hiĆ©rarchiser, ah la la oui alors, la sociĆ©tĆ©, la justice (cā€™est son travail en quelque sorte) adorent, hiĆ©rarchiser.

Agressions sexuelles moins grave que viol, lā€™on ne sait pas tellement sur quels critĆØres de gravitĆ© tout cela repose et surtout pour qui, MAIS cā€™est plus ou moins grave.

Et par une opĆ©ration quasi magique, la diffĆ©rence dā€™Ć¢ge maximise aussi, pardon pour ces paroles un peu crues qui arrivent, lā€™Ć¢ge mais aussi la taille du sexe qui agresse amplifie aussi la gravitĆ©, de quoi on ne sait pas trop, pour qui on ne sait pas tellement non plus.


Mais apparemment, une main/un sexe dā€™adulte qui agresse, cā€™est plus traumatisant quā€™une main/un sexe dā€™adolescent, qui est plus traumatisant quā€™une main/un sexe Ā tut tut tut Ā les agressions Ā« entre enfants Ā» (regard interloquĆ©, main sur le cœur, psychĆ© Ć  la dĆ©rive) Ƨa . nā€™existe . pas.


Ok, ok


Donc lā€™inceste dans les fratries ou entre cousins, cela glisse trĆØs rapidement vers cette figure Ā« traumatiquement acceptable Ā» dā€™un "mineur" vraiment plus grand qui agresse une ou un "mineur" vraiment plus petit.


Parce que ce type dā€™inceste est socialement beaucoup mieux acceptĆ© dans lā€™imaginaire collectif que des enfants qui en agressent dā€™autres, avec une diffĆ©rence dā€™Ć¢ge peu Ć©levĆ©e et surtout, surtout un Ć¢ge de lā€™agresseur acceptable socialement : parce que les enfants sont pures et angĆ©liques et ne pensent pas au sexe bien Ć©videmment.Ā 

Pour en arriver Ć  cela il faut bien sĆ»r Ć©vacuer toutes les dynamiques incestuelles prĆ©existantes (dynamiques qui font que des enfants incestent leurs frĆØres et/ou leurs sœurs) mais bon, on est plus Ć  Ƨa prĆØs et les incestes se rĆ©duisent, rĆ©duisent, rĆ©duisent Ć  une toute petite peau de chagrin Ć  peine assez grande pour essuyer nos larmes.


Et ce nā€™est malheureusement mĆŖme pas le rapport CIIVISE qui me donnera tord puisque sur un rapport de 750 PAGES, nous avons donc UNE DEMI-page consacrĆ©e Ć  cet Ā« Ć©piphĆ©nomĆØne Ā» visiblement, de lā€™inceste dans les fratries :


Citation rapport CIIVISE, p 269-270 [1] :

3.2.3. Inceste fraternel

Le frĆØre fait partie des agresseurs les plus frĆ©quents, il est mĆŖme le premier agresseur des garƧons (dans 26% des cas de violences commises contre des garƧons), avant le pĆØre (24%).

Dans les cas dā€™inceste, il est frĆ©quent que les adultes rĆ©duisent les violences sexuelles entre mineurs Ć  des Ā« jeux sexuels Ā» ce qui contribue Ć  minimiser, banaliser ces violences et enjoindre les victimes au silence.

DorothĆ©e Dussy explique, en effet, que si lā€™Ć©cart dā€™Ć¢ge entre le mineur agresseur et le mineur victime est faible, les psychiatres vont davantage qualifier les actes de jeux sexuels. Ceci sā€™explique par le fait quā€™il est gĆ©nĆ©ralement estimĆ© quā€™on ne peut parler de violences sexuelles quā€™Ć  partir du moment oĆ¹ lā€™Ć©cart dā€™Ć¢ge est de cinq ans. Cā€™est, dā€™ailleurs la mĆŖme logique qui a Ć©tĆ© retenue pour lā€™adoption de la clause dite RomĆ©o et Juliette dans la loi du 21 avril 2021. Il demeure que cette croyance contribue Ć  la minimisation et Ć  la banalisation des violences sexuelles entre mineurs.

DorothĆ©e Dussy formule lā€™hypothĆØse selon laquelle le frĆØre agresseur, ayant lui-mĆŖme Ć©tĆ© victime, initierait ce quā€™il pense ĆŖtre un rapport sexuel parce quā€™il cherche de nouvelles stimulations sexuelles et/ou parce quā€™il veut explorer la position de celui qui agit, ce qui revient donc Ć  ĆŖtre celui qui agresse.

La reproduction des violences subies peut, en effet, ĆŖtre une consĆ©quence des violences sexuelles et un symptĆ“me du psychotraumatisme. Le DSM-5 pose quā€™un enfant ayant Ć©tĆ© exposĆ© Ć  des violences sexuelles est susceptible de prĆ©senter des symptĆ“mes dā€™envahissement des scĆØnes traumatiques. Cela peut se traduire, entre autres, par des reproductions des violences ou de certains de leurs aspects exprimant des thĆØmes ou des aspects du traumatisme.

Bien que souffrant dā€™un stress post-traumatique, il demeure cependant que le frĆØre agresseur est en capacitĆ© de comprendre quā€™il est en train de commettre un acte de violence.

Il semble aussi que lā€™inceste soit une faƧon, pour lā€™agresseur de faire payer Ć  son frĆØre ou sœur cadet lā€™affection, la disponibilitĆ© ou lā€™attention dont il est objet de la part de ses parents ou quā€™il croit que ses parents accordent au cadet ou Ć  la cadette.


VoilĆ , dĆ©brouillez-vous avec cela, et si vous ne vous y retrouvez pas, dĆ©brouillez-vous quand mĆŖme avec cela, parce que cā€™est tout ce Ć  quoi vous avez droit.


Je vous rƩsume :


Lā€™inceste dans les fratries Ƨa existe (il y a des chiffres et tout, assez important du reste) cā€™est minimisĆ© (cā€™aurait Ć©tĆ© difficile de dire le contraire quand on dĆ©montre quā€™on le fait soi-mĆŖme), il Ā« semble Ā» quā€™il y a des causes, on ne sait pas trop, on nā€™a pas trop Ć©tudiĆ© notre sujet, donc on vous les livre en vrac, voilĆ  bonne soirĆ©e et bisous Ć  la famille, ah merde non, bon bah bisou tout court.


Je pense que je ne pardonnerai jamais.


Avoir eu une telle opportunitĆ© de balayer le champ des incestes pendant 3 longues annĆ©es, pour finir par pondre une demi-page mal fagotĆ©e sur lā€™inceste fraternel, je ne pardonne pas, mes adelphes victimes elles aussi dā€™inceste dans leur fratrie ont du mal Ć  pardonner.


CiIvise Commission indĆ©pendante sur lā€™INCESTE, mais pas tous les incestesā€¦


A suivreā€¦


(oui parce quā€™il est, ouh la 2h du matin, et que le reste nā€™est pas encore Ć©crit, mais Ƨa arrive)


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Bref parlons de lā€™incestuel dans nos familles qui ameĢ€ne aĢ€ des actes dā€™inceste dans nos fratries.

De nos difficulteĢs aĢ€ en parler, aĢ€ sā€™identifier, aĢ€ se reconnaitre.

Il y a des actes dā€™inceste, entre enfants, dans les fratries, parmi les cousins. Cā€™est un fait, les chiffres ne sont pas bien clairs sur le sujet, et il est assez simple de savoir pourquoi, en parti parce que nous en parlons tard ou nous nā€™en parlons pas. Nos parents qui savent (oui parce que nos parents savent) ne parlent pas, lā€™entourage qui sait, qui soupcĢ§onne, qui entrevoit et /ou qui se doute, ne parle pas.


Pour une raison que jā€™ignore (aĢ€ moitieĢ, jā€™ai quelques doutes, quelques suppositions), lā€™inceste dans les fratries, mais encore plus entre enfants ā€” allez situons les aĢ‚ges sinon, on ne va pas sā€™en sortir, enfant entre 7 et 13 ans, je parle ici de lā€™aĢ‚ge des agresseurs ā€” met tout le monde mal aĢ€ lā€™aise.

Les familles, les journalistes, les soignants, la justice, les associations de victimes, les militantĀ·es, les feĢministes, bref tout le monde.


Lā€™inceste entre enfants deĢrange car il remet en question beaucoup trop de croyances, beaucoup trop de preĢjugeĢs et dā€™images preĢconcĢ§ues de lā€™inceste.

Il bouscule les imaginaires et impose une reĢaliteĢ impensable donc impenseĢe.

Il contrevient aĢ€ tous les discours sur lā€™inceste qui ont eĢteĢ porteĢs jusque-laĢ€.

Nous avons un storytelling treĢ€s preĢsent, qui bien suĢ‚r a toujours existeĢ, mais qui est le plus ressorti suite aĢ€ lā€™affaire Duhamel et suite aĢ€ la CIIVISE version I : cā€™est que lā€™inceste serait le fait dā€™un peĢ€re/beau-peĢ€re, une figure dā€™autoriteĢ adulte sur un enfant. Cette figure serait la seule responsable et reĢussirait aĢ€ pervertir la famille dā€™abord et ensuite les institutions et la socieĢteĢ.


Cā€™est joli, et cā€™est treĢ€s rassurant, cā€™est treĢ€s rassurant parce que si lā€™on arrive aĢ€ eĢcarter ce seul responsable, aĢ€ le punir et aĢ€ lā€™emprisonner alors tout redevient Ā« normal Ā», la socieĢteĢ est alors proteĢgeĢe des monstres quā€™elle nourrit.


Or, dans lā€™inceste adelphique, celui qui agresse nā€™est pas cette figure adulte dā€™autoriteĢ, nous y reviendrons.

Il faudrait donc imaginer plutoĢ‚t une dichotomie entre incesteur : qui insuffle ce climat incestuel dans la famille, et lā€™agresseur : qui commet les actes dā€™inceste, incesteur qui peut bien eĢvidemment eĢ‚tre aussi lā€™agresseur.


Une cellule familiale (famille nucleĢaire) ne peut eĢ‚tre consideĢreĢe hors contexte, cā€™est-aĢ€-dire quā€™elle-meĢ‚me sā€™inclue dans une autre histoire familiale incestuelle plus vaste, souvent transgeĢneĢrationnelle et parfois meĢ‚me double, lā€™inceste se trouvant du coĢ‚teĢ paternel et maternel. Or cā€™est un peu contradictoire avec ce qui en est preĢsenteĢ la plupart du temps, comme sā€™il y avait des geĢneĢrations spontaneĢes dā€™inceste, un Ā« peĢ€re Ā» sorti du neĢant qui se met aĢ€ fabriquer de lā€™inceste, et pire encore, un enfant qui se met aĢ€ fabriquer de lā€™inceste dans sa fratrie en dehors de tout contexte et toute dynamique familiale preĢexistante.


Je lā€™ai deĢjaĢ€ eĢvoqueĢ, lā€™incestuel dans une famille preĢceĢ€de et permet lā€™inceste en acte, et cā€™est dā€™autant plus visible, clair, identifiable quand les actes dā€™inceste se deĢroulent dans la fratrie, et SURTOUT quand il sā€™agit dā€™inceste entre enfants, aĢ€ part imaginer que lā€™on puisse naitre incestueux.

Or je pense que lā€™on ne nait pas incestueux, on nait puis on est eĢleveĢ dans un climat incestuel et on peut le devenir. (point important : il faut cesser de reĢpandre ces preĢjugeĢs sur les victimes dā€™inceste ou de maltraitance, on PEUT le devenir, mais la majoriteĢ des victimes ne reproduisent pas ce quā€™elles ont subi).

Donc dire, Ā« un enfant reproduit ce quā€™il a vu ou ce quā€™on lui a fait Ā» oui cela arrive, mais cā€™est treĢ€s reĢducteur, car beaucoup dā€™enfants vivent de lā€™inceste et ne le reproduisent majoritairement pas sur leur freĢ€res et sœurs, tout comme il y a des enfants qui nā€™ont pas veĢcu dā€™actes sexuels incestueux et qui pourtant incestent leurs freĢ€res et/ou sœurs et surtout cela empeĢ‚che totalement de chercher au-delaĢ€ et de creuser ce qui dans les familles fabrique de lā€™inceste.


Il y a un vrai probleĢ€me dans lā€™approche de lā€™inceste actuellement, cela aboutit aĢ€ des erreurs, des incompreĢhensions et des tentatives rateĢes de solutions apporteĢes.

Lā€™inceste nā€™est quasi exclusivement abordeĢ que par le sexuel, lā€™inceste est reĢsumeĢ aĢ€ : Ā« des violences sexuelles intra-familiales Ā», ce qui en soi ne veut pas dire grand-chose puisque cela va des actes dā€™inceste au viol conjugal, une fois de plus, lā€™on tente de comprendre un spectre aussi large que lā€™inceste par des qualifications juridiques, qui, si elles sont pertinentes (peut-eĢ‚tre) dans un tribunal, sont loin, mais vraiment treĢ€s loin de pouvoir faire office de deĢfinition la plus large possible.

Des deĢfinitions trop cadreĢes qui sont aussi treĢ€s loin de nos reĢaliteĢs de victime et anciennes victimes.

Cet abord de lā€™inceste par le sexuel eĢvacue eĢgalement totalement nos dynamiques familiales, les violences physiques parfois et psychiques systeĢmatiques, on ne va pas dire, qui accompagnent les actes dā€™inceste, car ces violences nā€™existent pas en paralleĢ€le, elles ne sont pas concomitantes, elles en sont lā€™essence, le terreau fertile qui va permettre dā€™aboutir aĢ€ des actes sexuels incestueux.

Mais le sexuel est tellement omnipreĢsent dans les reĢflexions sur lā€™inceste que cela obliteĢ€re compleĢ€tement le vrai sujet de lā€™inceste : comment dans une famille peut-on en arriver aĢ€ incester ses enfants ou les enfants quā€™on eĢleĢ€ve, comment peut-on en arriver aĢ€ incester sa sœur/son freĢ€re, sa nieĢ€ce, comment peut-on, dans une famille, voir, savoir ou pressentir que cela arrive et eĢ‚tre complice, par complaisance, plaisir, honte ou confort ?

Quelles sont les dynamiques qui font fonctionner ces familles sur plusieurs geĢneĢrations ?

Quels outils sont aĢ€ lā€™Å“uvre pour silencier aussi fortement et aussi longtemps, non seulement les enfants incesteĢs, mais lā€™entieĢ€reteĢ de la famille et de lā€™entourage.

Comment les violences, quā€™elles soient physiques ou psychiques ne sont-elles pas releveĢes, par lā€™entourage, et toutes les personnes qui entourent ces familles : meĢdecins, professeurs, amis, bref socieĢteĢ.


Et comme lā€™inceste nā€™est abordeĢ que par cet aspect sexuel, et que ce sexuel est consideĢreĢ comme treĢ€s traumatisant, alors on ne comprend pas pourquoi ces foutues victimes ne parlent pas.

Ce serait si simple nā€™est-ce pas, si deĢ€s le premier acte sexuel commis, elles courraient dā€™un adulte indiffeĢrent aĢ€ un autre jusquā€™aĢ€ trouver Ā« la ou le sauveur Ā».

Pourquoi ne parlent-elles pas, pourquoi restent-elles totalement bloqueĢes, aĢ€ Ā« proteĢger leur agresseur Ā», pourquoi ne pas deĢnoncer cet oncle, pourquoi ne pas dire ?

Quā€™est ce qui empeĢ‚che, quā€™est ce qui geĢ‚ne, ce serait tellement simple si elles parlaient.

Mais voilaĢ€, rien nā€™est simple dans lā€™inceste, que ce soit le fonctionnement de la famille ou le fonctionnement propre de la victime qui survie dans cet environnement.

ƀ mon sens, au lieu de se poser la question du Ā« pourquoi elles ne parlent pas Ā», ce qui aboutit aĢ€ des demi-veĢriteĢs, la question serait plutoĢ‚t de sā€™interroger sur ce que vous ne comprenez pas de lā€™inceste, de ce que vous ne voyez pas de lā€™inceste, et qui empeĢ‚che les victimes de parler, non ce nā€™est pas que la honte, pas que la culpabiliteĢ, pas que les menaces, quand il y en a.

Et je le comprends, vous voudriez trouver la clef de voute de cet eĢdifice de silence afin de pouvoir le faire sā€™effondrer, mais, filons la meĢtaphore, nos silences sont des catheĢdrales, pas le portail branlant dā€™une petite eĢglise de campagne.

Vous cherchez des raisons simples, elles sont complexes, et mises en place au berceau.


Et pour parler, il faudrait se reconnaitre, comprendre et savoir de quoi ces adultes parlent. A totalement effacer lā€™inceste dans les fratries, (1 demi-page sur un rapport de 750, je vous le rappelle) aĢ€ minimiser lā€™inceste entre enfants, Ā« cā€™est du touche-pipi, cā€™est de la deĢcouverte cā€™est normal Ā» ok...


Cela dure combien dā€™anneĢes la deĢcouverte et le touche pipi ? Parce que personnellement, pour moi les actes dā€™inceste ont dureĢ 10 ans, 10 ans cela repreĢsente toute lā€™enfance, et lā€™incestuel ne sā€™est reĢellement arreĢ‚teĢ quā€™Ć  la mort de mon peĢ€re et la rupture des liens avec ma meĢ€re, cā€™est un peu longuet, surtout vers la fin.


Comment peut-on imaginer quā€™un enfant comprenne que ce quā€™il est en train de vivre est de lā€™inceste, que cā€™est grave, que cā€™est traumatisant, que cā€™est en train de le pulveĢriser ?

Et meĢ‚me lorsquā€™on le sait, plus ou moins, parle-t-on ?

Et puis ce que lā€™on oublie souvent, cā€™est que nous avons nos vies dā€™enfant aĢ€ vivre, et des strateĢgies de survies qui sont probablement deĢjaĢ€ installeĢes.

La feneĢ‚tre pour parler est toute petite, minuscule, les terreurs quā€™il faut surmonter sont incommensurables, tous les obstacles aĢ€ surmonter sont tellement eĢnormes quā€™il nā€™y a pas de mot pour les deĢcrire, tout cela est tellement deĢmesureĢ par rapport aĢ€ lā€™enfant qui les affronte et meĢ‚me aĢ€ lā€™adulte, car lorsque vous vous reĢpandez en Ā« compliments Ā» aĢ€ notre sujet en louant notre courage et notre force, cā€™est parce que vous savez au fond de vous ce quā€™il en coute.

Et par quoi donc commencer quand il faudrait parler ? quoi deĢnoncer ? quelles violences ? quelles humiliations ?

Quand cela commence dans votre fratrie avec un freĢ€re aineĢ de seulement 3 ans de plus ? de quoi parle-t-on ? quā€™est-ce que lā€™on deĢnonce ? aĢ€ quel moment ?

Nā€™est-il pas deĢjaĢ€ trop tard quand les actes sexuels incestueux apparaissent ?


Et surtout, comment expliquer lā€™incestuel ? ce terreau empoisonneĢ de lā€™inceste qui va preĢparer lā€™enfant victime, preĢparer le silence, cette toile de fond, patiemment tisseĢe geĢneĢration apreĢ€s geĢneĢration, qui est pour nous, anciennes victimes, si difficile aĢ€ deĢtricoter.


Lā€™incestuel nā€™est pas simple aĢ€ expliquer, car cā€™est un encheveĢ‚trement de comportements familiaux, larges et nucleĢaires, et il est propre aĢ€ chaque famille.

PlutoĢ‚t que de parler de culture de lā€™inceste, il faudrait parler de cultures familiales (de lā€™inceste). On ne retrouve pas neĢcessairement tous les comportements deĢleĢteĢ€res dans toutes les familles. Violences physiques, pas violences physiques, violences psychologiques systeĢmatiques oui, mais lesquelles et comment les identifier ?

Et pour pouvoir identifier ces comportements encore faut-il que les discours sur lā€™inceste nous laissent lā€™opportuniteĢ de le faire, que la socieĢteĢ nous offre les outils, tous les outils, pas les seuls les outils qui la rassurent.

Lorsque la lumieĢ€re nā€™est faite que sur le sexuel, comment se deĢfaire de ces ideĢes que lā€™on nous marteĢ€le.

Lorsque lā€™on est pris dans ces discours, ces diagnostics faits aĢ€ lā€™arracheĢ, ces slogans, ces cases eĢtriqueĢes dans lesquelles lā€™on essaie de nous faire rentrer toutes, finalement on ne nous eĢcoute pas. Lorsque lā€™on nous dit Ā« nous vous croyons Ā» cā€™est faux, vous nā€™eĢcoutez que la partie qui vous inteĢresse, que celle qui rentre dans le logiciel.

Et vous imposez Ā« du trauma Ā» formateĢ sur des veĢcus qui ne le sont pas.


Jā€™ai treĢ€s mal veĢcu la peĢriode metoo, jā€™eĢtais mal tout le temps, je ne comprenais pas pourquoi. Jā€™eĢtais si mal, jā€™avais lā€™impression dā€™eĢ‚tre submergeĢe, jusquā€™aĢ€ ce que je comprenne pourquoi, je ne vivais pas Ā« mes traumas Ā» aĢ€ moi, de mes veĢcus, je vivais celui des autres, totalement inadapteĢ, et cā€™eĢtait marteleĢ, encore, encore et encore, tous les jours.

Tous les jours je lisais le trauma des autres, on mā€™imposait des mots aĢ€ avoir, des ressentis, on pensait aĢ€ ma place, et on Ā« mā€™obligeait Ā» par la reĢpeĢtition aĢ€ adheĢrer aĢ€ tout cela. Ce qui mā€™a sorti de cet enfer, cā€™est un texte, un petit paragraphe, qui dā€™ailleurs faisait hurler tout twitter et qui moi mā€™a tireĢ de ce gouffre, parce quā€™il deĢcrivait exactement ce que jā€™avais veĢcu, et comment je le vivais aĢ€ lā€™eĢpoque, un petit paragraphe, eĢcrit au conditionnel, qui expliquait comment certaines victimes pouvaient vivre ces traumas au moment de lā€™enfance.

Et la LumieĢ€re est revenue, le temps de la lecture, en une minute. Jā€™ai cesseĢ de faire miens les traumas des autres, jā€™ai cesseĢ dā€™employer les mots des autres pour utiliser les miens, et paver ma route.


Comment sortir du tout sexuel de lā€™inceste pour commencer aĢ€ sā€™attaquer aĢ€ ce qui a pu amener aĢ€ tout cela.


Et jā€™avoue que cela me met dans une grande coleĢ€re, enfant, nos familles nous privent de notre agentiviteĢ, et la socieĢteĢ continue de nous en priver en ne sā€™inteĢressant quā€™aĢ€ la surface et en nous imposant ses discours comme une veĢriteĢ reĢveĢleĢe, elle ne sā€™inteĢresse quā€™au sexuel parce cā€™est le plus accessible, le plus facilement compreĢhensible, oserais-je dire que face aĢ€ lā€™inceste la socieĢteĢ est faineĢante ?

Oui, non seulement je vais oser mais je le pense franchement.


Jā€™ai duĢ‚ reĢfleĢchir aux speĢcificiteĢs de lā€™inceste dans les fratries, et notamment entre enfants, et ce nā€™est pas simple (encore une fois).

D'abord parce que lā€™inceste adelphique, lā€™on nā€™en parle pas du tout, jamais, lorsquā€™il se deĢroule entre enfants, encore moins.


Jā€™ai chercheĢ pendant une dizaine dā€™anneĢes, un article, un teĢmoignage, un entrefilet, enfin quelque chose, un bout de phrase, et rien, un teĢmoignage trainait sur internet, qui ressemblait treĢ€s eĢtrangement aĢ€ mon histoire, mais cā€™est tout, juste quelques faits, un teĢmoignage court, puis un petit paragraphe dans un article, avec quelques bribes dā€™explications, trop courtes, trop frustrantes.

Sur les reĢseaux, alors que commencĢ§aient aĢ€ eĢclore des discours sur la peĢdocriminaliteĢ et sur lā€™inceste, on y parlait dā€™amneĢsie (je nā€™eĢtais pas amneĢsique), on y parlait des peĢ€res (je nā€™avais pas eĢteĢ incesteĢe par mon peĢ€re), sur le reste rien, quelques allusions sibyllines, de temps aĢ€ autre, Ā« le freĢ€re aussi Ā», et aucun discours sur les enfants agresseurs.

Alors quā€™avais-je veĢcu moi ? moi qui me souvenais de tout, moi qui ai eĢteĢ incesteĢ par un enfant de trois ans mon aineĢ (moi vers 4 ans et meĢ‚me peut eĢ‚tre avant, donc mon frĆØre aĢ€ 7 ans), moi dont les parents (ou tout du moins ma meĢ€re, pensais-je) eĢtaient au courant, moi qui nā€™ai connu que cela dans mon enfance, puisque dā€™aussi loin que je peux me rappeler, lā€™inceste a toujours existeĢ.

Pas de choc de lā€™inceste qui surgit, pas cette fameuse sideĢration, la dissociation, je ne comprenais meĢ‚me pas de quoi il eĢtait vraiment question (cā€™est si mal expliqueĢ), pas de peur de mourir, non.

De lā€™inceste, cĢ§a jā€™en eĢtais sure, les maltraitances de lā€™incestuel aussi (que je nā€™avais pas mis en mot, ni reĢfleĢchi), jā€™eĢtais une petite fille qui nā€™eĢtait pas heureuse, cĢ§a oui, puisque je mā€™en faisais la reĢflexion, Ā« je ne suis pas heureuse et ce nā€™est pas normal de nā€™eĢ‚tre pas heureuse quand on a 8/10/12 ans Ā», surtout quand vos parents vous serinent que vous avez tout pour lā€™eĢ‚tre et que vous avez VRAIMENT de la chance dā€™avoir des parents qui sā€™occupent si bien de vous (ah ? bon, bon !)


Mais aĢ€ part ces certitudes sur ce que jā€™avais veĢcu, aucune explication, aucune existence, mon inceste aĢ€ moi nā€™existait pas, et pourtant jā€™eĢtais bien laĢ€, avec mes souvenirs, certains douloureux, pas forceĢment ceux que lā€™on croit dā€™ailleurs, jā€™eĢtais laĢ€ et je ne me reconnaissais dans rien.

Au cours de ces peĢreĢgrinations sur les internets, aĢ€ la recherche dā€™une leĢgitimation dā€™existence, jā€™ai trouveĢ UN ouvrage[2], le seul, je me suis jeteĢe dessus, je lā€™ai ouvert, lu trois phrases, refermeĢ, reĢouvert et ainsi de suite, parce que cā€™eĢtait compliqueĢ, et difficile de faire face aĢ€ soi, seule.

Puis jā€™ai fini par le lire, soulageĢe, meĢ‚me si cā€™eĢtait douloureux, de lire que jā€™existais, que ce que jā€™avais veĢcu existait, que cā€™eĢtait grave, mal consideĢreĢ et pas eĢtudieĢ.

Jā€™existais, lā€™inceste dans les fratries existait et lā€™inceste entre enfants existait, ce nā€™eĢtait pas moi qui Ā« en faisais des caisses pour pas grand-chose Ā»


Plus tardivement, lorsque jā€™ai commenceĢ aĢ€ mā€™inteĢresser aĢ€ tout ce qui faisait lā€™inceste en dehors de ces sacro-saints abus sexuels, ce sont dans des teĢmoignages dā€™anciennes victimes de sectes que je me suis le plus retrouveĢe.

Les dynamiques sectaires ont des accointances quasi geĢmellaires avec les fonctionnements de nos familles incestuelles.


Bien que lā€™on ne puisse pas aĢ€ proprement parler Ā« dā€™emprise Ā» des enfants dans une famille incestueuse, puisque notre eĢtat meĢ‚me dā€™enfant nous rend totalement deĢpendants de nos familles, au moins nucleĢaires, mais les meĢcanismes de controĢ‚le, et dā€™annihilation de lā€™individu sont les meĢ‚mes.


Je vous mets la transcription des propos de Jean-Pierre Jougla, avocat, Ć  propos des sectes dans le podcast de Fabrice Drouelle "Affaires sensibles" : Ā« Waco, une secte dans lā€™enfer des flammes Ā» du 4 mai 2016[3] et si je mets cet extrait, cā€™est que tous les propos qui sont ici tenus, et qui parlent des sectes sont applicables dans les familles incestuelles :


Ā« Cela peut aller jusqu'aĢ€ la soumission sexuelle, mais ce n'est pas la pire des soumissions, c'est cette atteinte permanente aĢ€ la digniteĢ de la personne qui fait que chaque adepte va perdre l'autonomie qui fait de nous des citoyens. [...]

Il y a des groupes dans lesquels il n'y a jamais de probleĢ€mes sexuels, l'abus sexuel c'est peut- eĢ‚tre le bout de la lorgnette par lequel judiciairement on va repeĢrer des groupes sectaires, parce que c'est plus facile de comprendre ce qu'est un abus sexuel que comprendre ce qu'est un abus de digniteĢ de la personne.

Mais lorsqu'on recĢ§oit d'anciens adeptes de sectes, des victimes de sectes, l'essentiel de leurs traumatismes tourne autour de cette ideĢe que pendant des anneĢes, on les a priveĢs de ce qui faisait leur autonomie, ce qui faisait leur personnaliteĢ, le vrai traumatisme il est laĢ€, parfois cela vient se meĢlanger avec des abus sexuels ou des abus financiers, mais ce sont deux avatars du pouvoir et de l'abus de pouvoir.

Et l'histoire nous montre que toujours le pouvoir absolu s'est accompagneĢ de deĢrapages de ce style-laĢ€.[...]

AĢ€ condition que lā€™on aborde la secte, non pas simplement sous lā€™angle psychologique du rapport de soumission entre le gourou et les adeptes mais eĢgalement sur le plan de lā€™analyse structurelle, voir comment le groupe fonctionne, en reĢaliteĢ, tout groupe sectaire, meĢ‚me le plus ridicule, le plus petit, a toujours comme ambition dā€™exercer un pouvoir politique aĢ€ lā€™inteĢrieur du microgroupe quā€™il constitue. Et ce pouvoir politique va se deĢcliner, selon les trois pouvoirs que lā€™on connait habituellement, un pouvoir leĢgislatif : un pouvoir normatif, un pouvoir exeĢcutif : cā€™est-aĢ€-dire lā€™application de toutes ces normes, et le pouvoir judiciaire : cā€™est-aĢ€-dire la sanction de tout deĢrapage par rapport aĢ€ la norme poseĢe.

Ce qui fait la diffeĢrence entre un eĢtat deĢmocratique et un groupe sectaire aĢ€ ce niveau-laĢ€, cā€™est justement parce que le gourou cumule ces trois pouvoirs entre ses seules mains quā€™il est tout puissant et donc leĢgitime aux yeux de ses adeptes, alors que dans nos socieĢteĢs, il faut quā€™il y ait une seĢparation obligatoire des pouvoirs de manieĢ€re aĢ€ ce quā€™il ait des contre-pouvoirs pour eĢviter que lā€™on soit en face dā€™un pouvoir absolu. [...]

Le groupe sectaire renvoie beaucoup plus aĢ€ cette dimension totalitaire politique quā€™a cette dimension religieuse qui ne lui sert la plupart du temps que de masque et de faux nez. Ā»


Nos incesteurs, que je vais deĢlier de nos agresseurs, ā€” parce que chez moi, comme dans dā€™autres nombreuses familles, lā€™incesteur : celui qui a mis en place la meĢcanique incestuelle de la famille, cā€™eĢtait mon peĢ€re, et ce nā€™eĢtait pas lā€™agresseur (concernant les abus sexuels en tout cas) ā€” sont les gourous de la secte-famille, et pour reprendre les termes de Jean-Pierre Jougla, ils mettent en place les normes familiales, ils veillent aĢ€ lā€™application de toutes ces normes et ils sanctionnent les deĢrapages : les deĢrapages ce sont nos paroles, nos actes de reĢbellion contre les abus de pouvoir, tout ce qui peut ressortir aĢ€ travers nous de lā€™intimiteĢ familiale, mettant ainsi en danger le systeĢ€me.

Cā€™est dā€™ailleurs un danger fantasmeĢ par lā€™incesteur, parce quā€™en veĢriteĢ, qui empeĢ‚che nos familles ne nous maltraiter ?

Cet eĢclairage, je pense, nous permet de mieux comprendre la mĆ©canique Ć  l'oeuvre et les compliciteĢs environnantes.

Je ne me fourvoierais en revanche pas dans un calquage aĢ€ lā€™identique de lā€™emprise-soumission des gourous avec leur adeptes, car je ne voudrais pas que lā€™on sā€™imagine que tout lā€™entourage dā€™un incesteur est sous emprise.

Et que la famille (et notamment nos meĢ€res) serait soumise parce que sous emprise du systeĢ€me sectaire incestueux.

Parfois nos mĆØres participent, passivement ou activement, elles sont meĢ‚mes parfois les incesteuses et les agresseuses.

Ce que je souhaite preĢciser par laĢ€, cā€™est que faire des meĢ€res lorsquā€™elles ne sont pas les agresseuses, des victimes du systeĢ€me au meĢ‚me titre que les victimes dā€™inceste elles-meĢ‚mes est un raccourci un peu facile, et qui, meĢ‚me sā€™il peut eĢ‚tre vrai, dans le cadre par exemple de violences conjugales, ce nā€™est pas en geĢneĢralisant cela que nous comprendrions mieux les dynamiques de l'inceste.


Nous sommes tous les rouages du systeĢ€me incestuel, meĢ‚me nous victimes, nous sommes un rouage, ce qui ne signifie pas que nous soyons responsables, complices ou coupables, nous sommes un rouage du systeĢ€me qui nous broie. Voyez comme tout est compliqueĢ, et comme nous ne pourrons jamais faire lā€™eĢconomie de la complexiteĢ concernant lā€™inceste.


Il faut se rappeler comme je lā€™ai mentionneĢ plus haut, que les systeĢ€mes incestueux sont transgeĢneĢrationnels, que ce nā€™est donc pas que lā€™incesteur met sous emprise la famille au sens large. Il est lui-meĢ‚me issu de ce systeĢ€me (rouage), et dā€™ailleurs plutoĢ‚t que dire quā€™il met en place une dynamique incestuelle, en fait il faudrait dire qu'il la peĢrennise.

Je reprends mon exemple pour eĢ‚tre plus claire :


Lā€™inceste vient de ma famille paternelle, toutes les interactions eĢrotiseĢes, les gestes et propos deĢplaceĢs, quand il ne sā€™agissait pas carreĢment dā€™agressions sexuelles, et bien suĢ‚r des actes sexuels incestueux de mon freĢ€re, viennent de ma famille paternelle, et elles se situaient dans toutes les strates familiales : 2 oncles/tous mes cousins/mes parents (oui peĢ€re ET meĢ€re) /mon freĢ€re.

De ma famille maternelle : rien, on ne les freĢquentait dā€™ailleurs que treĢ€s peu sans aucune raison autre quā€™ils nā€™eĢtaient pas ma famille paternelle, ils eĢtaient par conseĢquent infreĢquentables.

On ne peut alors pas dire que mon peĢ€re a Ā« mis en place Ā» un systeĢ€me qui le servirait, meĢ‚me si factuellement cā€™est une reĢaliteĢ, il a fait perdurer notre systeĢ€me familial deĢjaĢ€ en place depuis certainement plusieurs geĢneĢrations.

Et cela ne le deĢdouane en rien de ses responsabiliteĢs, il nā€™avait aucune excuse aĢ€ nous battre, aucune excuse aĢ€ prendre plaisir aĢ€ nous eĢcrabouiller mon freĢ€re et moi, et ma meĢ€re nā€™a aucune excuse aĢ€ avoir laisseĢ mon peĢ€re nous battre sans jamais sā€™y opposer dā€™aucune facĢ§on, aĢ€ part lui dire de faire attention...aĢ€ ne pas trop laisser de traces, oui parce nous avions friseĢ le signalement une fois, une instit de maternelle avait fait comprendre aĢ€ ma meĢ€re que la prochaine fois que jā€™arrivais avec lā€™eĢnorme trace de la main de mon peĢ€re sur la joue, ce serait signaleĢ, jā€™avais 3 ans, mon freĢ€re a eĢgalement recĢ§u sa premieĢ€re gifle aĢ€ 3 ans, parce quā€™il refusait de descendre du maneĢ€ge, mon peĢ€re adorait Ā« raconter cette anecdote Ā».


Tout ceci raconteĢ, non pour provoquer une quelconque pitieĢ, mais pour montrer un peu, comment se met en place ce systeĢ€me deĢ€s le plus jeune aĢ‚ge.


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Ce quā€™il faut bien comprendre dans nos socieĢteĢs, et que lā€™on feint dā€™ignorer (voire pour certains, on ne le toleĢ€re pas) cā€™est que les enfants y vivent, les enfants entendent ce qui sā€™y dit, par leurs parents, leur entourage, par les meĢdias, les reĢseaux sociaux (maintenant), bref, les enfants baignent dans les discours ambiants pour ne pas dire le discours dominant, mais si apreĢ€s tout disons-le.


Ils entendent ce qui est dit et aussi ce qui ne lā€™est pas, si lā€™on ne parle pas dā€™inceste dans les fratries, si lā€™on ne dit pas lā€™inceste entre enfants, si meĢ‚me couramment on le minimise (rappelez-vous le fameux touche-pipi-tous-les-enfants-le-font-ce-nā€™est-pas-grave) que voulez-vous quā€™il se passe ?

Quand lā€™inceste fait tout autant partie de leurs enfances que le brossage de dent et les devoirs aĢ€ la maison, que voulez-vous que les enfants fassent et disent ?

Rien.


Je ne reviendrai pas sur les raisons du silence de lā€™inceste que jā€™ai deĢjaĢ€ abordeĢ[4], mais sur Ā« les solutions Ā» qui sont proposeĢes afin que les enfants prennent conscience de la graviteĢ de ce quā€™ils vivent et finissent par en parler.

Je souhaiterais parler des Ā« cours dā€™eĢducation sexuelle et affective Ā» et des fascicules et petites brochures pour enfants qui fleurissent un peu partout, et je ne parle meĢ‚me pas des cours dā€™auto- deĢfense pour enfant.

Que lā€™on ne me fasse pas penser de travers, je suis pour les cours dā€™eĢducation sexuelle et affective aĢ€ lā€™eĢcole, parce quā€™ils sont importants en eux-meĢ‚mes et pour ce quā€™ils sont, je suis pour que les enfants puissent dire et parler de leur agression eĢvidemment.

Seulement je suis contre le fait que lā€™on se permette dā€™appeler cela de la preĢ-vention, surtout quand il sā€™agit dā€™inceste.

Je suis contre le fait que lā€™on rende lā€™enfant responsable de sa propre protection, quā€™on lui apprenne aĢ€ eĢviter de subir des agressions, et quā€™on instille en lui une culpabiliteĢ sā€™il nā€™arrive pas aĢ€ les eĢviter.

Un enfant, on lui apprend aĢ€ regarder aĢ€ droite et aĢ€ gauche avant de traverser la rue, comme on lui apprend aĢ€ ne pas suivre les inconnus meĢ‚me lorsquā€™ils proposent des bonbons ou cherchent leur petit chien, en revanche, on nā€™apprend jamais aĢ€ un enfant comment esquiver les voitures au milieu dā€™une autoroute, jamais, nulle part, aĢ€ aucun moment.

Comment penser quā€™en situation dā€™agression ā€” agression qui ne ressemble jamais aĢ€ ce que vous imaginez ā€” un ou une enfant va eĢ‚tre capable de mobiliser tous ses savoirs pour faire face seulĀ·e, si et seulement sā€™il lui eĢteĢ preĢsenteĢ un paysage exhaustif de toutes les situations dā€™agression, car il faut quā€™il/elle puisse lā€™identifier.


Comment peut-on penser quā€™apprendre aĢ€ dire Ā« non Ā», meĢ‚me treĢ€s fort, va arreĢ‚ter un agresseur (alors oui vous trouverez toujours quelques exemples pour qui cela a fonctionneĢ, quelques exemples face aĢ€ lā€™immensiteĢ des agressions)

A lire ces fascicules et petites brochures, cela donne lā€™impression que les enfants ne savent pas dire non (ils savent) et se laissent agresser par ignorance que Ā« leur corps cā€™est leur corps et que personne nā€™a le droit dā€™y toucher Ā», deĢjaĢ€ rien que cela est faux, puisque papa/maman/le meĢdecin, la maitresse eĢventuellement, une infirmieĢ€re, vont eĢ‚tre ameneĢ aĢ€ le faire. Si les enfants ignoraient vraiment que ce quā€™ils ont veĢcu pose un probleĢ€me, et dā€™ailleurs dā€™abord aĢ€ eux, ils parleraient tout de suite, certains le font, mais treĢ€s peu.

Et jā€™ai vraiment du mal avec ces techniques dā€™eĢvitement enseigneĢes, parce que si elles eĢchouent, je crains que lā€™enfant ne sā€™enfonce que plus dans le silence, puisquā€™aĢ€ la honte ressentie, sā€™ajoutera la culpabiliteĢ de nā€™avoir pas su eĢviter lā€™agression alors quā€™on le lui avait enseigneĢ.

Parce quā€™un enfant nā€™est pas un adulte miniature, il ne reĢfleĢchira pas de manieĢ€re raisonneĢe sur son impuissance aĢ€ pouvoir se deĢfendre, il se dira quā€™il nā€™a pas dit non assez fort, quā€™il nā€™a pas couru assez vite, quā€™il nā€™a pas su repeĢrer lā€™agresseur, Ā« pourtant on le lui avait expliqueĢ Ā». Et il faut repenser eĢgalement notre manieĢ€re dā€™eĢduquer les enfants qui est beaucoup plus faite actuellement pour contenir et apprendre aux enfants aĢ€ obeĢir aux adultes quā€™aĢ€ leur faire front et dire non.


Bref, je mā€™en voudrais dā€™effrayer la terre entieĢ€re, mais la preĢ-vention ne se fait pas aupreĢ€s des victimes potentielles, mais des agresseurs et potentiels agresseurs.

Je vous rappelle que la Ā« preĢvention Ā» du style : ne mettez pas de jupe, ne buvez pas, faites attention, ne fonctionne pas avec des femmes adultes ā€” qui pourtant elles, ont une conscience plutoĢ‚t bonne de ce qui pourrait advenir ā€” pour eĢviter les viols et les agressions, mais on imagine que cā€™est une bonne ideĢe de reprendre avec des enfants, des vieilles meĢthodes qui ont deĢjaĢ€ montreĢ leur inefficaciteĢ avec des adultes, ok...


Et alors concernant lā€™inceste...


LaĢ€, autant dire que tout ce que vous dites, ce nā€™est pas que cĢ§a rentre par une oreille et ressort par lā€™autre, cā€™est que cela ne passera pas la barrieĢ€re du compartimentage dans une grande partie des cas (Oui encore une fois, pas tous etc.).

Parce que nous sommes eĢduqueĢs dans lā€™inceste, nous naissons dans lā€™inceste, lā€™inceste cā€™est ce qui fait tourner notre monde.

Je vous remets un extrait de Jean-Pierre Jougla :


"Et ce pouvoir politique va se deĢcliner, selon les trois pouvoirs que lā€™on connait habituellement, un pouvoir leĢgislatif : un pouvoir normatif, un pouvoir exeĢcutif : cā€™est-aĢ€-dire lā€™application de toutes ces normes, et le pouvoir judiciaire : cā€™est-aĢ€-dire la sanction de tout deĢrapage par rapport aĢ€ la norme poseĢe."


Qui met en place nos normes familiales ? qui les fait appliquer ? qui sanctionne ? nos incesteurs, notre famille, nos normes, qui ne sont pas vos normes sociales.

Ā« Il faut dire non Ā», sauf, que nous, nā€™avons pas le droit de dire non.


Et pourtant rebelle comme pas deux, jā€™ai dit non des dizaines de fois, aĢ€ mon freĢ€re : aucune efficaciteĢ, et la seule fois ouĢ€ jā€™ai dit stop aĢ€ mon peĢ€re, il a redoubleĢ les coups, et je savais quā€™il allait le faire, parce que la reĢbellion chez nous, eĢtait inacceptable.


Et ce nā€™est pas que nous nā€™allons pas comprendre ce qui est dit, nous allons juste compartimenter entre ce que qui se dit laĢ€, aĢ€ lā€™eĢcole, ou laĢ€ dans cet atelier, et ce qui se passe aĢ€ la maison.

Ou bien, nous allons hausser les eĢpaules inteĢrieurement en sachant treĢ€s bien que tout ce qui se dit laĢ€, cā€™est bien joli, mais ce nā€™est absolument pas applicable aĢ€ la maison.

Il faut cesser de penser lā€™inceste avec votre normaliteĢ, car nous sommes en dehors de vos normes.

Il faut penser lā€™inceste dans lā€™inceste.


Toute mon enfance, mon adolescence, jā€™avais treĢ€s conscience, mais de manieĢ€re confuse et deĢcousues eĢvidemment, des deĢfaillances et de la violence de ma famille, pas neĢcessairement en ce qui concernait les actes sexuels incestueux de mon freĢ€re dā€™ailleurs, je ne me posais pas la question, je ne me mā€™interrogeais pas sur sa normaliteĢ ou son anormaliteĢ, parce mon freĢ€re lorsque nous eĢtions enfants, cā€™eĢtait aussi mon seul allieĢ dans les violences, jusquā€™aĢ€ ce que je nā€™aie plus dā€™allieĢ du tout.

Mais tout ce qui constituait lā€™incestuel, meĢ‚me si je nā€™avais pas ce mot, ni sa compreĢhension, jā€™avais conscience dā€™un gros probleĢ€me, des violences de mon peĢ€re, mais aussi celles psychologiques de ma meĢ€re, de ses intrusions perpeĢtuelles dans mon intimiteĢ.

Mais tout ceci eĢtait treĢ€s treĢ€s cliveĢ, actes sexuels incestueux dā€™un coteĢ ā€” qui dā€™ailleurs ne repreĢsentaient pas un probleĢ€me, cā€™eĢtait contraignant, mais cā€™est toutā€” dā€™un autre coĢ‚teĢ il y avait les maltraitances, le controĢ‚le continu de mon peĢ€re, la peur, la terreur, ce climat dā€™eĢpouvante dans lequel nous faisait vivre ma meĢ€re. Nous clivons, clivons, clivons pour survivre, on fait face aux probleĢ€mes individuellement quand ils se preĢsentent.

Jā€™avais conscience que ce que je vivais nā€™eĢtait pas normal dans le sens ou tout cela nā€™eĢtait pas juste et ouĢ€ jā€™avais le sentiment diffus et confus que ce nā€™eĢtait pas la vie.

Mais quelle eĢchappatoire ?

Avais-je meĢ‚me envie dā€™eĢ‚tre retireĢe aĢ€ ma famille ? La reĢponse est non, je pense meĢ‚me que cette ideĢe mā€™eĢtait insupportable aĢ€ certaines eĢpoques.

Est-ce que jā€™aimais mes parents ? jā€™adorais ma meĢ€re, mon peĢ€re me faisait peur en permanence et non je ne lā€™aimais pas du tout, il nā€™avait dā€™ailleurs aucune marque dā€™affection aĢ€ notre eĢgard, aucune.

Et vous savez pourquoi, rions un peu ensemble, il nā€™avait aucune espeĢ€ce dā€™affection aĢ€ notre eĢgard, il nā€™avait aucun geste tendre, ni vraiment de paroles gentilles parce que disait-il Ā« il ne voulait pas que plus tard, en ayant mal interpreĢteĢ des gestes, nous portions plainte contre lui, ma sœur et moi pour inceste Ā»

Cocasse nā€™est-ce pas ?

Les liens familiaux de ma famille paternelle et donc aussi nucleĢaire eĢtaient treĢ€s puissants, on appartenait litteĢralement au clan, et comme cā€™eĢtait le seul valable vis-aĢ€-vis du reste du monde, il nā€™y avait donc nulle part ouĢ€ aller.

Pour deĢsappartenir au clan il mā€™a fallu changer de nom.


Ce qui sā€™applique dans la socieĢteĢ cā€™est-aĢ€-dire Ā« ne pas incester ses enfants, ou sa sœur, ou sa nieĢ€ce Ā» ne sā€™applique pas aĢ€ la maison, puisque cā€™est preĢciseĢment ce que nous vivons, ne pas battre ses enfants, cā€™est aussi interdit et cā€™est aussi preĢciseĢment ce que certains dā€™entre nous vivent.

Or, que cā€™est interdit, nous le savons, nous ne sommes pas deĢconnecteĢs de la reĢaliteĢ, seulement nous clivons, la maison versus le monde exteĢrieur.


Parfois, comme chez moi, le monde exteĢrieur nā€™avait droit quā€™a treĢ€s peu dā€™incursion aĢ€ la maison, on ne rameĢ€ne pas sa copine du colleĢ€ge comme cĢ§a Ć  l'improviste, pour gouter, on teĢleĢphone avant pour demander lā€™autorisation. Un coup de sonnette aĢ€ la porte si lā€™on nā€™attendait personne, eĢtait toujours consideĢreĢ comme intrusif, et malpoli.

Et le malotru, vertement critiqueĢ, une fois parti dā€™avoir eu lā€™outrecuidance de sonner.


Ce sont des exemples, mais les intrusions sont autant de mises en danger du systeĢ€me familial, par principe, car reĢellement il nā€™y avait jamais danger aĢ€ ce que AmeĢlie ou Virginie vienne au gouter.

Mais il peut y avoir mise en danger de lā€™image parfaite et insoupcĢ§onnable mise en place. Ā« Que vont dire les gens Ā», si mes parents estimaient que tout nā€™eĢtait pas comme ils lā€™avaient deĢcideĢ.


Et il fallait voir le cirque lorsque mes parents recevaient, habillĆ©s sur leur 31, parfumĆ©s, totalement guindĆ©s, la table dressĆ©e dans la salle Ć  manger (fait peu ordinaire car nous mangions dans la cuisine) nous eĢtions preĢsenteĢs comme de gentils animaux de compagnie aĢ€ lā€™apeĢritif, nous avions eu le brief avant Ā« vous vous comportez bien Ā», ce qui signifiait : vous dites bonjour, vous reĢpondez si lā€™on vous pose des questions, sinon silence, pas trop bouger, pas se jeter sur les biscuits apeĢros, faire passer les ramequins, deĢbarrasser et aĢ€ la fin de lā€™apeĢro, mon peĢ€re sifflait la fin de la reĢcreĢ, tout le monde dans les chambres. Nous avions joueĢ notre roĢ‚le de famille unie avec des enfants bien eĢleveĢs, mes parents recueillaient les compliments, rideau pour les enfants.

Tout eĢtait treĢ€s ritualiseĢ, je ne vais pas dire que cā€™eĢtait une horreur, jā€™aimais bien, cela sortait du quotidien, on chipait les fins de plat aĢ€ la cuisine, on y eĢchangeait trois mots avec ma meĢ€re, cā€™eĢtait marrant parce que cā€™eĢtait diffeĢrent, nous nā€™existions pas mais cela nā€™avait pas tellement dā€™importance.

Dans une famille comme la mienne, mieux vaut exister moins que trop.


Dā€™ailleurs, cā€™est toute notre vie qui eĢtait ritualiseĢe, cadreĢe, encadreĢe, organiseĢe, il nā€™y avait aucune place pour lā€™improvisation, lā€™invention, la spontaneĢiteĢ.

Les vacances dā€™eĢteĢ se deĢroulaient toujours de la meĢ‚me manieĢ€re, 15 jours en camping, dans un camping 5 eĢtoiles pour quā€™il y ait un minimum de francĢ§ais et que lā€™on nā€™ait pas aĢ€ socialiser, mon peĢ€re deĢtestait cela, 15 jours chez ma grand-meĢ€re, 15 jours dans une location perdu au fin fond dā€™une reĢgion isoleĢe.

Tous les deĢparts en vacances eĢtait facteur de stress pour mon peĢ€re, donc nous en faisions les frais, nous eĢtions copieusement engueuleĢs, il fallait partir pile aĢ€ lā€™heure, faire des pauses en voiture Ā« utiles Ā» et les plus courtes possibles.

Nous tenir sage en voiture sur des trajets interminables, nous ne lā€™eĢtions eĢvidemment pas, donc gifles et menaces dā€™abandon sur le bord de la route.

Et les vacances pouvaient commencer une fois quā€™une immontable tente eĢtait enfin tendue aĢ€ coup dā€™engueulades et dā€™insultes.

Cela tous les ans, immanquablement, jusquā€™aĢ€ ce que mes parents acheĢ€tent la Ā« maison de campagne Ā» ouĢ€ nous allions passer, toutes les vacances, tous les week-end, de feĢvrier aĢ€ novembre.

Lā€™ennui y eĢtait mortel.

La vie aĢ€ la maison eĢtait de toute facĢ§on morne et chiante pour des enfants, puisque rien nā€™eĢtait organiseĢ ni fait pour nous, nous devions nous adapter et suivre.

UNE FOIS, UN eĢteĢ jā€™ai eĢteĢ inviteĢ aĢ€ passer 15 jours seule en famille, mais cā€™eĢtait lā€™autre famille, mon oncle a eu gain de cause apreĢ€s 3 jours de neĢgociation avec mon peĢ€re.

Mon peĢ€re ne comprenait pas (il ne voulait pas surtout) que nous puissions vouloir eĢ‚tre ailleurs quā€™en famille, et puis bon, loin des yeux, loin du controĢ‚le paternel, cĢ§a ne pouvait que lui deĢplaire.

Je nā€™avais de toute facĢ§on aucune sortie de secours, dans une petite ville ou mes parents eĢtaient lā€™une enseignante, lā€™autre lā€™eĢquivalent de CPE. (EĢcoles priveĢes)

Jā€™ai commenceĢ ma scolariteĢ dans lā€™eĢcole attenante au lyceĢe ou travaillait mon peĢ€re, il y connaissait bien suĢ‚r tous les enseignants, et bien suĢ‚r mon institutrice de CP qui... frappait les eĢleĢ€ves (oui cela existait encore), mais cela ne deĢrangeait pas du tout mon peĢ€re.

En changeant dā€™eĢcole mon peĢ€re avait deĢcreĢteĢ quā€™il me fallait de lā€™autoriteĢ (traduire ici : de lā€™autoritarisme, de la rigueur, et une pression sans relaĢ‚che) pour avoir de bons reĢsultats scolaires (son obsession), ce que je nā€™avais pas, sans eĢ‚tre une cancre, jā€™eĢtais une eĢleĢ€ve treĢ€s moyenne, ce qui bien suĢ‚r, redoublait les violences, les privations, les punitions, les humiliations, les insultes, les menaces.

Jā€™eĢtais de toute facĢ§on consideĢreĢe par mes parents comme Ā« gentille Ā» mais pas futfut.

Tout ceci, jusquā€™au colleĢ€ge ouĢ€ travaillait ma meĢ€re, et lyceĢe, mes deux parents.

Lā€™enfermement fut alors total, le controĢ‚le au-delaĢ€ du toleĢrable.


Chez moi cā€™eĢtait un peu extreĢ‚me donc je me garde de trop geĢneĢraliser mon cas.

Mais il y a des principes communs et des fils communs aĢ€ tirer.


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Maintenant, que faire de lā€™inceste dans les fratries et de lā€™inceste entre enfants, dans un systeĢ€me quasiment uniquement forgeĢ sur une reĢponse reĢpressive des institutions face aĢ€ lā€™inceste. ConsideĢrant que ce qui est punissable et donc puni est uniquement : les abus sexuels, et que la reĢponse aĢ€ ces abus est judiciaire.


Mon intime conviction, hormis quā€™associer sexe et enfance creĢe le malaise, cā€™est que lā€™on ne sait pas trop quoi faire de ces incestes entre enfants, de meĢ‚me que les agressions sexuelles entre enfants mais je nā€™aime pas trop meĢlanger lā€™inceste avec ce qui nā€™en est pas, car en geĢneĢral lā€™inceste disparait treĢ€s vite de la reĢflexion, car lā€™inceste pour de multiples et individuelles raisons, creĢe eĢgalement le malaise, donc on lā€™eĢvacue facilement, ceci sā€™expliquant par le fait quā€™il est plus facile de qualifier de monstre quelquā€™un qui ne fait pas partie des siens, plus facile de lā€™alteĢriser et de lā€™ostraciser, Ā« plus facile Ā» ne voulant pas dire Ā« facile Ā». Et je preĢcise que je ne hieĢrarchise rien, ce nā€™est pas que jā€™estime que lā€™inceste serait plus ou moins grave que la peĢdocriminaliteĢ, nā€™ayant veĢcu que de lā€™inceste je me garderais bien de ce genre dā€™eĢgarement, mais ce sont des dynamiques diffeĢrentes tout simplement, et je souhaite que lā€™inceste soit traiteĢ en tant que tel et non comme un sous genre de la peĢdocriminaliteĢ qui serait intrafamiliale.


Au fur et aĢ€ mesure, ces dernieĢ€res anneĢes, que la peĢdocriminaliteĢ et lā€™inceste commencĢ§aient aĢ€ effleurer la conscience endormie de la socieĢteĢ, on a assisteĢ aĢ€ une espeĢ€ce de purification des enfants (victimes dā€™abord) pour mieux deĢmoniser les agresseurs.

Et meĢ‚me si lā€™intention eĢtait louable : celle de prendre enfin la deĢfense des enfants victimes dā€™abus sexuels, et de consideĢrer les preĢjudices, cela a abouti aĢ€ une purification de lā€™enfance dans son ensemble, et cela ne permet plus de consideĢrer lā€™inceste entre enfants.

Si les enfants sont pures et sans taĢ‚che et que la sexualiteĢ nā€™est pas un sujet, comment un enfant de 7/8 ans peut incester sa petite sœur de 5 ans, impossible.

Ou alors si cela arrive, cā€™est quā€™il a eĢteĢ perverti par un vilain adulte qui lui aura montreĢ ou fait des choses.

Possible oui, mais en attendant le sait-on ? En parle-t-on ? est-ce eĢtudieĢ meĢ‚me ?


Et pourtant, cela arrive, des freĢ€res et des sœurs incestent leurs freĢ€res et/ou sœurs. Le rapport CIIVISE propose le chiffre de 19% de lā€™inceste, qui serait du fait des frĆØres, meĢ‚me si ce chiffre nā€™a de valeur que consultative, si l'on sait que cela existe, parce quā€™il y a quelques allusions qui surgissent parfois, lā€™on a en revanche aucune reĢponse aĢ€ apporter.


Aucune reĢponse aĢ€ nous apporter en tant que victime, et aucune reĢponse aĢ€ apporter aĢ€ ce genre de situation, autant peĢnale ā€” et heureusement, on ne va pas rouvrir La petite roquette, Dieu nous en preĢserve ā€” que sociale.

Car si lā€™on sait quoi faire des victimes dā€™inceste : les soigner. (Mais jusquā€™aĢ€ quand allons-nous continuer dā€™eĢponger lā€™eau par terre sans reĢparer la fuite ?)

Que fait-on des enfants agresseurs ? et comment geĢ€re-t-on ces situations ?

En imaginant que ces incestes soient deĢtecteĢs ? Quelles reĢponses, quels parcours de soin ? Quelles proceĢdures pour la prise en charge de lā€™enfant agresseur ? De la famille au complet ?

Et jā€™ai bien lā€™impression que pour le moment, la seule reĢponse apporteĢe, cā€™est de faire comme si nos incestes nā€™existaient pas.

Mais cā€™est aĢ€ cet endroit preĢciseĢment que je vous renvoie vos responsabiliteĢs, parce que lā€™inceste dans les fratries et notamment entre enfants existe, et vous devez cesser de nous ignorer. Parce que nous victimes dā€™inceste dans nos fratries, nous nā€™en pouvons plus dā€™entendre quā€™il faut parler, que parler serait la clef et la solution du probleĢ€me, alors que dans le meĢ‚me temps, vous oubliez systeĢmatiquement nos incestes, vous ignorez systeĢmatiquement nos incestes, et surtout, vous, vous nā€™en parlez jamais.


AĢ€ lā€™heure actuelle, nous sommes toujours les victimes dā€™incestes qui nā€™existent pas.





Sources


[1] Le rapport public de la CIIVISE


[2] Quand toucher n'est plus jouer : Inceste freĢ€re/sœur et abus sexuels entre enfants, Anne Schwartzweber, 5 janvier 2017


[3] Fabrice Drouelle : Affaires sensibles : Ā« Waco, une secte dans lā€™enfer des flammes Ā» du 4 mai 2016


https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/aGaires-sensibles/waco-une-secte-dans-l-enfer-des-flammes-Ā 9833854


[4] Du silence de lā€™inceste aĢ€ la silenciation, Carabinacitron, 8 octobre 2023

https://www.crimscollectif.com/carabinacitron/du-silence-de-l'inceste-a-la-silenciation


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