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28 octobre 2023

INCESTE

Ce qui fait l'inceste

J’ai mis du temps à m’approprier le mot inceste, je pense que longtemps, pour moi, il signifiait trop, il ne décrivait que trop bien ce que j’avais vécu et que je ne voulais pas voir en entier.

Alors je suis allé chercher chez mes adelphes féministes « les mots qu’il faut », ceux qu’il « faut » employer.


Je disais « mon frère m’a violé », et cela me paraissait totalement incongru, encore maintenant je trouve cela incongru, comme pas du tout à sa place, « mon frère m’a violé, j’étais violée par mon frère » cela m’est totalement étranger.

Alors je disais « mon frère a abusé de moi » et cela passait mieux, cela prenait plus en compte, les relations fraternelles et les abus sexuels.


Et puis j’ai pu au fil des mots m’approprier les mots inceste, incesté, incesteur et j’avais l’impression enfin d’avoir les bons mots, ceux qui recouvraient l’ensemble.

Oui je n’étais pas victime de « viol », c’était d’inceste qu’il était question.


De l’inceste


Pas facile de définir l’inceste, d’ailleurs, cela ne rate jamais, personne ne le décrit de la même manière et je ne parle pas des victimes ici qui, le plus souvent, arrivent parfaitement à comprendre ce qu’elles ont vécu et ce que recouvre pour elles ce mot d’inceste.


Pour certainEs l’inceste ne désigne que des relations consenties entre adultes d’une même famille, l’on a vu fleurir ce genre de niaiseries lors de l’affaire dite « Duhamel » et pas de la part des défenseurs de Duhamel, non, de la part des défenseurs des enfants meurtris dans les familles incestueuses.

Ici visiblement, le mot inceste n’était pas assez fort pour nommer les choses.

D’autres encore réduisent l’inceste à sa définition je dirais la plus simple, la plus judiciarisable, la plus répressible et la moins efficace pour l’ensemble des victimes :


« Violences sexuelles intrafamiliales »


Tout comme les mots violences sexuelles, c’est un terme fourre-tout, absolument pas adapté, pas de tout représentatif, ni de ce qu’est l’inceste, ni du vécu de l’ensemble des victimes.

Eh oui, que faites-vous donc des enfants maltraités dans des familles incestuelles ou il n’y a pas de passage à l’acte ? Vous voilà bien attrapé, à faire des circonvolutions intellectuelles pour réussir à décrire des situations qui existent avec des victimes qui ne se reconnaissent nulle part.


C’est un sujet que nous avons beaucoup discuté entre CrimsinelEs, ce que pour nous, désignait l’inceste, de nos dynamiques familiales, de tenter de définir ce qui est fui et fuyant.


D’ailleurs moi-même, il m’arrive de jongler un peu avec le mot et de l’utiliser tantôt pour désigner l’ensemble, tantôt pour désigner des passages à l’acte (personne n’est parfait…).


Et c’est malheureusement ce que j’attendais de la CIIVISE, qu’ils portent une définition claire et complète de l’inceste et c’est ce qu’ils n’ont pas fait (tant pis).


De l’incestuel


Comme je dis souvent (non en vrai je ne le dis pas souvent, je le dis parfois quand je parle d’inceste) : pas de passage à l’acte incestueux sans famille incestuelle préalablement.


L’inceste ne déboule pas dans une famille « normale », saine, avec des membres qui s’aiment tendrement et PAF, tout d’un coup le père devient incestueux et met en place des stratégies pour rallier tous les membres de la famille à sa cause incestueuse.


Nos familles incestuelles sont dysfonctionnelles, elles sont dysfonctionnelles en amont des actes qui vont se perpétuer en son sein, l’incestuel précède l’inceste en acte.

Et il se transmet, non pas comme une maladie, non, il se transmet à travers tout ce qui peut se jouer à l’intérieur d’une famille (au sens large), les rapports de domination, la culture propre à chaque famille concernant l’éducation, la tendresse, les violences, le contrôle des enfants à tous les niveaux.


L’incestuel c’est ce climat dans lequel baigne une famille, la plupart du temps (toujours ? mais j’ai du mal avec les toujours et les jamais concernant l’inceste) sur plusieurs générations, l’inceste est transgénérationnel, parce que la culture familiale est un continuum.


Et il faut être conscient de ce climat, car c’est aussi celui qui nous enferme, ce n’est pas seulement la honte, la loyauté familiale, la peur, la violence, l’épouvante, c’est tout à la fois et c’est ça l’incestuel, avec ses singularités familiales.


Si j’appuie sur ce point de l’incestuel, et de toutes les dynamiques qui tournent autour des enfants incestés, ce n’est pas seulement pour englober l’ensemble des victimes, ça l’est en priorité, mais pas seulement, pour comprendre ce que l’on a vécu, et pour pouvoir progresser dans nos prises en charge, il faut aussi prendre conscience de tout ce qui s’est joué autour de nous durant notre enfance en plus des passages à l’acte, même ce terme je m’aperçois qu’il est inadapté car il ne représente que des ponctualités, or nos enfances ne sont pas une succession de ponctualités, mais une espèce de grand bain, cette ambiance si particulière aux familles incestuelles/incestueuses où les barrières sont floues et mouvantes, le sol constamment instable.


Décortiquer les dynamiques, les responsabilités de chacun, les culpabilités, les manipulations, ce qui a permis ces passages à l’actes réguliers ou ponctuels.

Cela nous permet de comprendre dans quoi nous évoluions, quelles étaient nos marges de manœuvre, qu’avons-nous mis en place pour résister ou survivre.

Comprendre et savoir, c’est reprendre le contrôle, retrouver notre agentivité.


Des maltraitances


Avant de parler des maltraitances, je vous invite à lire l’article en source 2-, cela pourra vous apporter un eclairage supplémentaire.

C’est quelque chose dont nous avons souvent discuté avec Pierre-Guillaume, de ces accointances entre les dynamiques des violences conjugales et les dynamiques de l’inceste, le control coercitif est tout à fait parlant concernant l’inceste et fort dommageablement oublié, parce qu’il a aussi une part non négligeable dans nos silences.


Si tout le monde s’accorde (pour une fois) à dire que dans l’inceste, l’enfant est traité comme un objet, le plus souvent, il est sous-entendu, objet « sexuel ».

Or si l’incestuel précède l’inceste en acte et permet l’inceste en acte, c’est que nous sommes déjà, enfant, considéré comme des objets, comme quantité négligeable, parfois comme une continuité du sujet parent.

Dans certaines de nos familles, ce qui est certain c’est que nous ne nous appartenons pas, nous ne décidons de rien pour nous même, nous ne pouvons pas penser pour nous même, nous ne pouvons nous exprimer que de la manière qui convient, nous n’avons droit à aucune intimité, quels droits avons-nous d’ailleurs ?

Celui de se taire, d’obéir et d’être sage, de ne pas gêner ce monde des adultes qui nous a conçu mais qui apparemment supporte à peine que l’on respire, des enfants pâte à modeler, voilà ce que nous sommes.


Car malheureusement, l’inceste n’est abordé que de manière sexuelle, et s’il est tout à fait vrai que l’intrusion d’une sexualité adulte (une sexualité tout court d’ailleurs, sinon ce serait faire l’impasse sur l’inceste entre enfants) est un traumatisme en soi, et qu’il est aussi tout à fait vrai que la dimension sexuelle ou sexualisée des rapports entre les adultes et les enfants de la famille est une composante de l’inceste.

Ne focaliser QUE sur le sujet du sexe dans l’inceste c’est gommer l’intégralité de l’incestuel qui est tout autant traumatisant, tout aussi destructeur.


L’inceste c’est notre quotidien, dans le sens le plus banal si tant est que nos enfances soient banales, et l’inceste se camoufle dans le quotidien, dans les portes des chambres pas fermées et interdites d’être fermées, (et je ne parle pas ici d’être fermées « à clef », il n’y avait pas serrures bien évidemment), dans les briefing éducatifs avant de sortir, les débriefing après les sorties, dans les coups et les gifles (vous savez les fameuses « dont on ne meurt pas »), dans les pressions quotidiennes sur ce qui obsède le ou les parents et les négligences d’un autre côté, les colères qui nous tombent dessus sans savoir pourquoi, les chantages affectifs que nous ne comprenons pas, la culpabilisation d’exister et donc de gêner, les insultes, les humiliations, les moqueries, l’intrusion dans nos intimités, les mensonges et la culture du secret, la culture de la loyauté familiale absolue et non négociable, cette famille ou plutôt cette image de la famille parfaite qui doit être préservée avant nos intérêts d’enfants, avant nos besoins, avant le respect de nos dignités. (la liste est bien sur non exhaustive et différente pour chacun d’entre nous)


Donc je dirais, non, le drame d’un enfant incesté, ce n’est pas de « prendre le petit déjeuner en face de son/sa incesteur/euse »

Le drame, c’est de n’être jamais en sécurité, jamais stable dans sa propre famille, et pas seulement d’y subir des « agressions sexuelles ou des viols » (pour parler comme « il faut »), le drame c'est l'ensemble, pas le détail, aussi atroce vous semble-t-il.


De cette inclusion dans nos quotidiens, parce que nous sommes néEs dans ces familles, éduquéEs entièrement dans ces climats incestuels/incestueux, découle directement nos silences.


Lorsque votre quotidien est un mélange de violences, menaces de violences, passage à l’acte incestueux, contrôle coercitif, même lorsque votre stratégie de survie c’est la résistance (j’en parle parce que ce fut la mienne), il faut déjà avoir conscience de tout cela pour commencer à ouvrir la bouche, et même si l’on a confusément conscience de tout cela, il faut être suffisamment ou se sentir suffisamment en sécurité pour commencer à ouvrir la bouche.

Ce sont des stratégies de survie que nous mettons en place, pas des stratégies de « je vais faire plaisir à la société qui attend de moi que je parle pour la protéger ».

Et quand je dis, « nous mettons en place », je devrais plutôt nuancer « qui se mettent en place ». On n’a pas conscience à 5/8/15 ans des stratégies qui se mettent en place.


Donc avant de vouloir à tout prix nous faire parler, assurez-vous d’abord de notre sécurité, ce sont les stratégies de survies qui s’activeront avant votre désir ou vos injonctions à nous faire parler, le cerveau saura reconnaitre s’il est en sécurité avant de faire sauter les protections.
et de cela, il faut avoir fortement conscience lorsque l’on souhaite s’attaquer à la parole de l’inceste.
le cerveau d’unE enfant ne va pas penser « répression, justice, protection de la société », il va penser « moi d’abord en sécurité », et s’il estime que la sécurité, c’est le silence, bon courage pour casser ce mur-là.


Et j’avoue que ce qui m’affole un peu actuellement, c’est que l’on fait l’inverse, on attend que les enfants parlent pour les mettre en sécurité ; enfin cela, c’est le vœux pieux, l’intention, la réalité est que nous n’avons pas les structures pour mettre en sécurité les enfants qui parlent, et comme ces faits sont partout présent dans les médias, les enfants le savent.

Parce que voyez-vous, dans des familles comme la mienne, les adultes parlent entre eux bien évidemment, mais devant les enfants, puisque de toute manière, que nous soyons là ou pas, cela ne change rien, et donc tous les sujets qui peuvent induire qu’à l’extérieur c’est le danger, et que "gare à toi si tu parles à tort et à travers, voilà ce qui va arriver" sont discutés devant les enfants. (oui c’était fait exprès, on est d’accord)


L'on a décrété que la parole de l’enfant devait être un point de départ dans la détection de l’inceste, alors qu’elle ne devrait être qu’un outil de confirmation.

Ce sont les dynamiques et les familles incestuelles ou incestueuses qu’il va falloir apprendre à détecter.

Parce que si la stratégie de survie d’unE enfant victime de tout un système incestueux c’est la même que la mienne : c’est-à-dire une hyper adaptabilité avec une partie dissociée en résistance, là encore : BON COURAGE, jamais vous ne les ferez parler à moins d’être certainE d’être en sécurité, et d’ailleurs à cause de l’hyper adaptabilité, vous ne verrez rien non plus chez l’enfant, il faudra donc chercher les signes ailleurs.


Et si à force de persuasion et de promesses vous arrivez à convaincre cetTE enfant de parler et que vous contrevenez à vos promesses de mise en sécurité, vous obtiendrez : une perte totale de confiance de l’enfant envers les adultes, un silence plus scellé que jamais, et une possible aggravation des maltraitances voire de la mise en danger.

Sources


1- Santé Mentale - N° 271 - Octobre 2022

Bien distinguer inceste et incestuel

Jean-Luc VIAUX, Professeur de psychopathologies


https://www.santementale.fr/2022/10/bien-distinguer-inceste-et-incestuel/

 

2- L’empaillé - Numéro 10 Régional -13 octobre 2023

Piégées au quotidien

Gwenola SUEUR et Pierre-Guillaume PRIGENT


https://lempaille.fr/piegees-au-quotidien

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